L’exposition Sommaire, essentiellement constituée d’œuvres de la collection du FRAC Poitou-Charentes, s’annonce comme un programme. Son propos est introduit par une vidéo, Allocution sommaire, dans laquelle Paul Devautour (alias DeYi Studio) énonce une «théorie de l’art en 5 minutes» qui remet en question les contextes de création, de réception et de diffusion de l’œuvre d’art. Ainsi, chaque œuvre de l’exposition vient en décliner les interrogations sur la pratique de l’art : Quels lieux pour la création dans notre société ? Quelles relations entre l’art et le monde ? Quelle autonomie de l’art ? Quelle économie de l’artiste ? Quelle pertinence d’encore faire des expositions ? ... Il peut paraître déroutant qu’une institution de diffusion d’art contemporain interroge les principes sur lesquels elle a bâti ses fondations. Mais force est de constater que des artistes et des œuvres, eux-mêmes, initient ces questionnements. ABC (Artists’ Books Cooperative), un collectif d’artistes de diverses nationalités, résume le musée à un ensemble d’ouvrages, chacun représentant un service de l’institution et désignant ainsi la bureaucratisation de la culture accompagnée de son corollaire, le développement exponentiel des filières d’expertise. Alors que la vidéo de Victoria Principes nous guide sagement dans la découverte d’une exposition, les sympathiques marionnettes de Yann Vanderme se promènent dans un musée factice qui met en avant l’environnement d’une exposition avec les outils qui habituellement l’accompagnent. Placé au cœur de ces dispositifs, le visiteur n’a d’autre choix que de se forger une opinion en cultivant son ouverture d’esprit. Quant aux peintures cannibales de Jacques Charlier, elles dressent un portrait du «milieu de l’art» qui ferait passer son aréopage pour une nouvelle maladie auto-immune. L’institution n’est pas le seul acteur remis en question. Il en va également de la figure de l’artiste et de sa production qui se conforment aux impératifs économiques et injonctions professionnelles ou s’effacent derrière des marques ou des noms d’entreprises parfois réelles, parfois fictives : Tatiana Trouvé se dévoile en chercheuse d’emploi ; IKHÉA©SERVICES, fondée par Jean-Baptiste Farkas, propose un catalogue de services destinés à perturber notre quotidien trop matérialiste ou trop mercantile ; That’s painting est une entreprise de peinture en bâtiment par laquelle Bernard Brunon a requalifié sa pratique de peintre (sur tableau), chaque nouveau chantier devenant une nouvelle œuvre ; Ludovic Chemarin© est une marque créée par l’artiste Ludovic Chemarin quelques années après l’arrêt de son activité artistique à l’initiative de deux artistes, Damien Béguet et P. Nicolas Ledoux, qui l’ont achetée afin de réactiver et prolonger l’œuvre interrompu ; Les ready-made appartiennent à tout le monde® était une agence publicitaire fondée par Philippe Thomas promettant aux collectionneurs de s’investir clé en main dans un projet artistique, une simple signature suffisant dès lors à devenir un créateur et ainsi rejoindre l’Histoire de l’art. De manière plus générale, les œuvres exposées se distinguent par leur caractère perméable, insaisissable, voire imprévisible. Et ce, d’autant plus quand leur auteur se plaît particulièrement à l’être, à l’instar de Martin Kippenberger dont la production prolifique et polymorphe allait à l’encontre de l’objet d’art collectionnable. Déstabilisante peut également être la démarche d’Olivier Lemesle qui, motivé par un pragmatisme pur,
s’est mis à reproduire ses tableaux d’abstraction géométrique au format 1/5 : ils sont ainsi moins coûteux à stocker et à transporter mais proposés au même prix que les formats originels. Les aquarelles à vertu thérapeutique, produites par Tamarind Rossetti au rythme d’une par jour lorsqu’elle connut un épisode personnel difficile, deviennent, elles, œuvre conceptuelle au moment de leur vente. D’autres pratiques sont quant à elles dissolues dans leurs propres mise en œuvre : le duo Iconoclasistas met ses compétences de graphisme et de cartographie au service de projets revendicatifs participatifs ; Hugo Vidal poursuit un long processus de dénonciation des politiques répressives par la diffusion de discrets messages sur des objets de consommation courante ; Raivo Puusemp a assimilé sa pratique artistique à sa carrière politique lors de son mandat de maire, fonction interrompue lorsqu’il a fini par fusionner sa ville avec la commune voisine. Si elles ne sont pas majoritaires, ces démarches artistiques et ces œuvres qui prennent le risque de l’ambiguïté et du paradoxe méritent une attention appuyée. En effet, elles questionnent ainsi vigoureusement les conventions surannées de la création, de la production et de la diffusion de l’art dans une société qui semble, par ailleurs, peiner à recycler harmonieusement l’énergie dégagée par l’entropie accélérée des systèmes qui la constituent. Exposition, Sommaire est aussi, comme son nom l’indique, un programme, l’annonce d’un développement. Par les œuvres et les démarches artistiques présentées, Sommaire s’assume comme (auto)critique institutionnelle et comme contribution à une pensée prospective de l’art et de l’artiste considérés dans le champ large d’une société en plein remembrement.
- communiqué de presse entier : DP_Sommaire.pdf téléchargé ici : https://www.frac-poitou- charentes.org/