En songeant à toutes ces femmes qui se démènent année après année et qui ont du mal à réunir deux mille livres et qui font tout leur possible pour en trouver trente mille, on s’est indignées tout haut face à la désolante pauvreté de notre sexe. Qu’avaient donc fait nos mères pour ne rien nous laisser en héritage? Elles se poudraient le nez? Faisaient du lèche-vitrine? Se pavanaient au soleil de Monte-Carlo? Quelques photographies avaient été placées sur le manteau de la cheminée. Il est possible que la mère de Mary - si c’était bien elle sur la photo - ait été un panier percé durant ses loisirs (un pasteur lui avait fait treize enfants), mais, si tel avait été le cas, son visage ne trahissait presque rien de sa vie joyeuse et frivole. Ses traits étaient ordinaires; c’était une vieille dame portant sur les épaules un châle en tissu écossais fermé par un grand camée monté sur broche; elle était assise dans un fauteuil en osier et elle incitait un épagneul à regarder l’appareil avec l’expression amusée mais lasse de quelqu’un qui sait bien que le chien va bouger au moment où l’on appuiera sur le déclic. Mais, si elle avait pu se lancer dans les affaires; si elle avait dirigé une manufacture de soie artificielle ou été la reine de la Bourse : si elle avait légué deux ou trois mille livres à Fernham, on aurait pu être confortablement installées ce soir-là et on aurait pu parler archéologie, botanique, anthropologie, physique, discuter de la nature de l’atome, nous entretenir de mathématiques, d’astronomie, de relativité, de géographie. Si seulement Mrs Seton et sa mère et la mère de sa mère avaient appris le grand art de gagner de l’argent et si, comme leur père et leur grand-père avant elles, elles leur avaient légué cet argent pour financer des postes, des chaires, des prix et des bourses affectées à des personnes de leur sexe, on aurait pu dîner seules ici de manière tout à fait convenable avec un perdreau et une bouteille de vin; on aurait été en droit d’at-l’abri de tendre une vie plaisante et honorable l’une de ces professions généreusement rétribuées. On aurait pu devenir exploratrices ou écrivaines ; rêver aux lieux vénérables de la planète; s’asseoir sur les marches du Parthénon pour y méditer, ou aller à l’office de dix heures pour rentrer à quatre heures et demie et écrire quelques vers.